A la grande époque des groupes punks, un natif de Gébérram-sous-Grenouille avait connu son heure de gloire comme chanteur. Robert Caillou, plus connu sous le pseudo de Bobby Montananaconda, avait écumé les salles de concerts et les bars du grand ouest poussant jusqu’en Belgique et même en Angleterre, la Mecque du mouvement. Et malgré un talent évident et inconditionnellement reconnu par une poignée d’aficionados, il avait du admettre qu’il ne vivrait jamais de son art. C’était donc le cœur brisé qu’il avait raccroché sa Stratocaster et monté à Laval le premier bar disquaire : Les Stars. Très vite, l’établissement avait drainé tous les fans de platines et de son de cette partie de la France. Les Stars étaient devenues l’endroit incontournable où l’on était certain de dégotter le disque rare et de boire une bière de qualité sans avoir les oreilles cassées par un miauleur échappé de la Star’Ac. La seule limite était de ne jamais toucher aux disques et aux platines de Bobby. Seul, le maître des lieux avait ce privilège. Et gare à l’inconscient qui transgressait cette règle d’or. L’ancien punk avait encore le bourre-pif facile. C’était bien connu, la zique adoucissait les mœurs mais surtout gardait le Bobby en pleine forme et excepté une conjonctivite chronique qui lui faisait porter jour et nuit des ray ban fumées, les ans ne semblaient pas avoir prise sur lui. Toutefois, il avait abandonné la crête iroquoise fluo pour une banane style Elvis seventies plus en harmonie avec son statut d’honnête commerçant. Mais il avait gardé ses bagouzes à tête de mort.
Au fil des ans, Bobby avait du mettre de l’eau gazeuse dans sa vodka et c’était la mort dans l’âme qu’il avait accepté de vendre de la variété.
- « Qu’est ce que tu veux, la soupe, ça met du beurre dans les épinards ! », aimait-il à répéter aux puristes qui ne pigeaient pas cette dérive mercantile.
Pourtant il y avait deux règles auxquelles, il ne dérogeait pas. Primo, recevoir les enterrements de vie de garçon ou de fille. Les gugusses sapés en clowns, maquillés et perruqués comme des travelos, trainant des poussettes ou des cercueils étaient interdits de séjour au Stars. Même chose pour les nanas. Prohibées les gonzesses hystériques, peinturlurées comme des péripatéticiennes et boudinées dans des minis jupes à ras du fri - fri. Secundo, ne servir que les clients polis. Même bourrés ces derniers se devaient de rester courtois. Sinon les malotrus se déshydrataient seul dans leur coin, dans l’indifférence générale.
Vendre de la variété avait confronté Bobby au goût pour le moins étrange de ses contemporains. Devant l’insistance de certains d’entre eux, il avait accepté de prendre en dépôt-vente les CD d’une autre star locale : le célèbre Joël Liémer. Le comique sous le nom de Tony Twist, T.T. (à prononcer à l’américaine : Ti-Ti), faisait un tabac en Mayenne et dans les départements limitrophes. Ti-Ti, son humour gras et lourdingue, écumaient la région, jouant à guichets fermés à Tonsure-sur-Ouette, Coinvit-le-Vivien ou Tueleveau- les-Ifs…
Lors du vide grenier annuel, Richard Belair avait découvert Les Stars. Séduit par l’ambiance du lieu, il y était revenu plusieurs fois. Très rapidement le courant était passé entre le disquaire et le créateur de jeux vidéo. Par la suite, Richard y avait traîné son gothique de fils, Tom. Bobby qui n’avait pas d’a-priori musical, dénichait avec plaisir les vinyles de Heavy Métal donc l’ado raffolait. Faisant fi de son look de vampire neurasthénique, il lui avait même proposé de l’embaucher pendant les vacances scolaires et suprême honneur de tenir le blog des Stars. Tom touché par cette marque de confiance, avait pris sa mission très au sérieux. Ne se contentant pas de relater les soirées des Stars, il s’était mis en tête de pondre un petit compte-rendu sur les nouveautés du moment.
A la même époque Tony Twist sortait son dernier One Man Chaud. Tom avait commenté l’événement d’une phrase :
- « Quant à l’inénarrable Ti-Ti, on attend avec impatience le gros minet qui nous en débarrassera ! »
La réplique avait rapidement fait le tour des internautes locaux et valu à son auteur une réputation de chambreur number one. Léa et Richard avaient été fiers et admiratifs du sens de la répartie de leur rejeton. Bobby, lui, ne manquait jamais une occasion de citer la saillie drolatique de son protégé.
Un matin alors qu’il se battait avec une comptabilité rétive, le disquaire avait reçu un appel de Joël Liémer. L’humoriste furieux exigeait des excuses dans la presse locale et surtout le renvoi immédiat de l’insolent sinon il envisagerait de donner des suites judiciaires à l’affaire. Ti-Ti drapé dans sa réputation entachée se faisait le porte parole de ses milliers de fans qui s’étaient sentis comme lui, diffamés ! Dans un premier temps, Bobby avait cru à un calembour. L’humoriste remonta dans son estime. Mais très rapidement, il s’aperçut que le gazier ne plaisantait pas. Il était sérieux. Bobby tenta de relativiser la chose.
- « Tu devrais le remercier grâce à lui, on parle de toi ! Suis sûr que les visites sur ton site vont exploser ! »
Par Patrick Mercado
Gébérram-sous-Grenouille ainsi que tous les personnages et autres lieux sortent de l’imagination de l’auteur. Ceux qui penseraient se reconnaître ou reconnaître un ami, un voisin, une connaissance seraient dans l’erreur.
Mais Ti-Ti ne voulait rien savoir. Il raccrocha sur un : « J’arrive ! »
Bobby avait haussé les épaules et s’était replongé dans ses déclarations d’Urssaff. Il avait oublié l’incident jusqu’à l’entrée de Lise, son associée. La petite brune plutôt gironde semblait dans tous ses états. Habituée à gérer les noctambules, elle n’était pas du genre à paniquer. Pourtant là, elle avait égaré sa quiétude légendaire.
- « Vite Bobby, un excité est en train de s’en prendre à Tom ! »
Dans la boutique, Tom tentait d’échapper à un type coiffé d’une perruque à la Claude François et fringué seventies qui le coursait en lui assenant des coups de balai.
- « Je t’en foutrais moi, du gros minet ! Tiens prends ça, espèce de dégénéré ! »
Il ponctuait ses coups, en chantant : « Alexandrie…Alexandra !! »
Il avait fallu quelques instants à Bobby pour reconnaître Tony Twist en costume de scène. Le visage de Bobby s’était fermé. Il avait serré les poings sur ses bagouses et s’était avancé.
Peu après, Léa, Orlanne et Richard Belair qui venaient chercher Tom, jetaient un regard étonné à la poubelle estampillée Les Stars dans laquelle un type à l’œil au beurre noir, le postiche blond de traviole, la veste lamée froissée, trônait parmi un amas de CD.
(*) Guitare mythique fabriquée par la célèbre marque Fender.
La semaine prochaine : "Ces organismes que le monde entier nous envie"
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