Jeudi 16 octobre 2025, bâtiment préfabriqué Jeff-Lemoine à Laval. Comme cinq soirs par semaine depuis 2018, le camion flanqué du logo rose écrase les graviers à 17h35 et s'arrête.
Paule est au volant. Quatre autres membres de l'équipe sont déjà là. On ouvre le local municipal, on coulisse la porte du camion, on sort les bacs. Immédiatement, on enfourne les plats chauds pour les maintenir à température. Le jeudi, c'est Paule qui est la capitaine de soirée. Mais six jours par semaine, c'est Paule en cuisine, au centre des Restaurants du Cœur de la zone des Alignés. Parce que le camion du Cœur ne distribue pas des denrées, il apporte des repas chauds. "J'arrive au centre à 13h. Chaque début de semaine, nous recevons des produits de la plateforme de Rennes. Je regarde ce qu'il y a dans les frigos et les congélateurs. En fin de semaine, c'est parfois plus compliqué d'élaborer une recette. Hier, c'était steaks hachés et pâtes. Là, c'est poisson pané avec du riz et une sauce." La cuisinière constate que ce soir, le pain n'est pas là en quantité. Elle recommande à Mamadou de trancher des tartines fines. "C'est un don du CFA de boulangerie. Des fois, on en a de la ramasse [la tournée des hypermarchés, NDLR]. Quand on n'en a pas, on en achète".
Au service, ça ne traîne pas. Mais le sourire est omniprésent. - Fred Martin
Les portes du local ouvrent à 18h. La vingtaine de bénéficiaires qui attendait s'engouffre. Nathan compte à l'entrée et aligne des bâtons sur un agenda. "On ne prend aucune identité, rassure Martine. C'est juste pour nos statistiques, pour prévoir les approvisionnements. D'ailleurs, les repas du camion du Cœur ne sont pas soumis à condition, tout le monde peut venir". Les bénéficiaires s'assoient. En groupe ou seuls à une table. "Chaque équipe a son fonctionnement, raconte Martine. Certaines placent les bénéficiaires de façon à remplir des tables pour qu'ils puissent rompre l'isolement. Nous, on les laisse s'installer où ils veulent". Martine est là tous les soirs. Elle est d'ailleurs la capitaine de soirée du lundi. Le matin, elle est bénévole au Secours catholique. Elle est aux Restos depuis près de 30 ans.
"On ne ramène jamais rien"
La salade œufs crudités concoctée par Paule rencontre un franc succès et les assiettes sont déposées à bon train devant chaque convive. Certains ne se font pas prier pour être resservis. "Je me cale sur les dernières statistiques pour les quantités, explique Paule. J'ai en préparé pour 45 personnes. Ce soir-là, ils seront 33 bénéficiaires, dont deux enfants. "Quand il y a du rab, on ressert. De toute façon, on ne ramène jamais rien."
Comme dans les cuisines d'un restaurant étoilé, la brigade de bénévoles lève les couvercles des plats en inox avec un élégant geste coordonné. Charlotte sur la tête, Nathan relève une dernière fois la température, pour s'assurer que la chaîne du chaud n'a pas été rompue. "63°C minimum, rappelle-t-il. C'est OK."
Le groupe chambre un peu Paule sur la consistance un peu plâtreuse du riz. "Avec la sauce ça ira", se défend-elle. Mamadou est préposé à la sauce. Quand il ouvre la marmite, un appétissant bouquet saute aux narines. "J'ai fait avec ce que j'ai trouvé : des boîtes de ratatouilles, des pois chiches, des yaourts, des épices", confie Paule.
Et maintenant, le dessert. - Fred Martin
Un yaourt et des biscuits en desserts. Puis le café au bar, servi par Nathan. Bien chaud, avec quatre pierres de sucre pour certains. Plusieurs bénéficiaires l'avalent vite fait et s'enfuient après un rapide merci. "C'est à cause des foyers d'hébergement. S'ils veulent une place, ils doivent y être avant 19h15", explique Martine. D'autres s'attardent et engagent même la conversation. Des habitués et des nouveaux, qui viennent seulement depuis une quinzaine de jours. Nathan est un ingénieur de 28 ans, bénévole ici depuis deux ans. "J'ai un métier technique où je ne sors pas trop de mes calculs. Pour changer, je voulais faire autre chose à côté du sport. Un truc social, pour les autres. Un collègue m'a proposé de venir aux Restos. Ici je vois le monde tel qu'il est. Je souris. Et quand une personne en galère te rend ton sourire, c'est cool."
Nathan sert le café avec bienveillance - Fred Martin
Nicolas a rencontré il y a peu des bénévoles des Restos à la sortie d'un hypermarché. Il a discuté avec eux. Nicolas aime bien discuter. Depuis trois semaines, il fait partie de l'équipe du camion du Cœur. Dilaskan est arrivé à Laval il y a deux ans, après un parcours qui l'a mené du Sri Lanka jusqu'en Suisse, puis à Paris. Il a bénéficié des repas du camion du Cœur. Aujourd'hui, il a des papiers, suit des formations et travaille en intérim. Il revient ici comme bénévole. "Pour remercier l'équipe, et pour améliorer mon français avec eux."
Ce n'est pas le tout, mais après il y a la vaisselle… - Fred Martin
… Et le ménage. - Fred Martin
Le crépuscule lèche les vitres du préfabriqué. Tout est propre et rangé dans la salle. L'équipe se salue et se dit à la semaine prochaine. On attend Martine qui discute avec un homme qui a pris son repas et cherche un abri pour la nuit. La bénévole active son réseau. Mais il n'y a plus de place nulle part. L'homme a compris le message du traducteur de son téléphone, salue poliment, la main sur le cœur, décline le duvet qu'on lui a déniché et s'en va. "C'est ce qu'il y a de plus triste, déplore Martine. Savoir que certains vont dormir dehors après nous avoir quittés."
Il serait peut-être temps qu'une autre bande d'Enfoirés puisse gérer ça aussi. Mais ce serait un coup à en prendre encore pour au moins quarante ans.
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