Viticulture. Rencontre sur le salon des vins à Laval : Manu Rousselet, du lycée Rousseau au Château Peybrun

Le chemin du Lavallois Manu Rousselet l'a mené jusqu'à un domaine viticole dans le Bordelais, qu'il a racheté en octobre 2022. Il est présent pour la deuxième année au Salon des vins et des produits du terroir de Laval, organisé par le Club Kiwanis à l'Espace Mayenne. Rencontre.

Né à Laval, Manu a grandi à Louvigné, a fréquenté le collège Jules-Renard puis le lycée Rousseau avant de suivre des études en école de commerce à Nantes. Un stage chez un caviste de Dublin lui fait découvrir le domaine du vin. "Après mes études, j'ai été commercial pendant deux ans en Bretagne. Je n'étais pas convaincu, je me cherchais…"

Consultant RH à la City, sommelier au pub

"En 2007, j'ai fait un sac à dos et je suis parti à Londres. Là-bas, j'ai acheté un costard et j'ai pris un job de consultant RH à la City. Ça ne m'a pas plus, alors j'ai bossé dans un pub. Un pub gastronomique dans lequel les patrons m'ont confié la carte des vins. Un Frenchy qui s'occupe de la cave semblait donner du crédit à l'établissement." À Londres, Manu rencontre aussi l'amour en la personne d'une Bordelaise avec laquelle il rentre en France. Le Mayennais travaille pendant un an comme commis de cuisine à Bordeaux, avec l'idée de reprendre un restaurant. "Mais ça ne m'a pas plus. La restauration est un métier très dur, usant. J'avais continuellement l'impression d'être en milieu hostile."

Changer le monde

"J'ai alors fait un bilan de compétences. Il paraît que je voulais changer le monde avec deux pistes potentielles : travailler dans le développement durable ou me planquer dans un coin pour travailler la terre. Des amis m'ont dit que dans le Bordelais, j'avais tout ce qui pouvait me convenir. Pendant deux ans, j'ai suivi un BTS viticulture en alternance."

Pendant dix ans, Manu a découvert en tant que salarié de nombreuses méthodes de travail de la vigne, en conventionnel ou en bio, dans le Médoc, le Pommerol, l'Entre-deux-mers… Il a aussi vécu de l'intérieur la crise viticole.

"On n'a rien vu venir, on s'est pris tout ça de plein fouet"

"Ça a commencé en 2017 avec de gros épisodes de gel qui ont ruiné une bonne partie de la récolte. Là on a pris conscience que le dérèglement climatique n'était pas une légende, que notre génération allait le subir de plein fouet. En 2018 ça a été le mildiou. En 2020, pour raisons sanitaires liées au Covid, la Chine a fermé ses frontières. C'était le plus gros importateur de vin de bordeaux. En même temps, pendant son premier mandat, Trump commençait à surtaxer des produits étrangers comme le vin et les Anglais quittaient la zone Euro. On n'a rien vu venir et on s'est retrouvé avec des stocks de vin. Il a fallu arracher de la vigne."
À la crise s'ajoute le vieillissement de la population agricole. De nombreux domaines sont à vendre et Manu y voit une opportunité. "On a visité plusieurs domaines. Quelque chose nous plaisait dans les Graves, mais c'était au-delà de nos moyens et le secteur était sensible aux inondations. Puis on a visité ce domaine en haut d'une petite colline. Une longère, un chai, et 13 hectares de vigne autour. Ce vieux domaine était depuis cinq siècles dans la même famille."

Le domaine de Château Peybrun, acquis par le Lavallois en octobre 2022. - Guillaume Ruiz

Coup de cœur entre Loupiac et Cadillac

Manu et Amélie, sa compagne, sont séduits par le lieu. "Le bas du coteau est sous appellation Loupiac, le haut sous appellation Côtes de Bordeaux - Cadillac. La colline évite de subir les inondations et les fumées des incendies de forêt. Par grands froids, le gel tombe dans la vallée. À 50 mètres du domaine, une chapelle du XI^e siècle, l'église de Gavarnac, témoigne de mille ans d'histoire du site. Je me suis dit que cette histoire témoigne de la résilience du lieu, et que cette crise, on devrait pouvoir l'encaisser et la passer."

La certification bio cette année

En octobre 2022, l'acte de vente est à peine signé que Manu participe aux premières vendanges de son domaine. Il entame immédiatement après le virage de la viticulture conventionnelle au bio. "Nous serons certifiés pour le millésime 2025", annonce-t-il. En désaccord avec le cahier des charges de l'appellation Bordeaux, le nouveau propriétaire préfère se contenter de l'appellation ''Vin de France''. "Comment peut-on prétendre définir le bon goût du vin pour les consommateurs ?" Manu conçoit ses recettes en dosant des ingrédients tels que la maturité de ses raisins, leur taux de sucre, leur teneur en eau, l'ensoleillement, le moment de la récolte, l'âge de ses vignes. Une savante alchimie pour produire un vin léger et rond en bouche, ou plus tanique, ou plus minéral, mais aussi un dur labeur quotidien pour surveiller ses vignes et les entretenir à la main.

Manu en pleines vendanges sur son domaine. - Guillaume Ruiz

"Certaines nuits, j'ai envie de me lever pour aller voir à la torche si mes vignes vont bien"

Malgré ces soins quasi-quotidiens, le viticulteur a perdu au terme de ses trois premières années d'exploitation l'équivalent d'une année de récolte. "En 2022 ça a été la sécheresse, l'année suivante le mildiou et l'année dernière la coulure — taux d'humidité excessif qui stérilise la floraison, ndlr —, même si les récoltes étaient de qualité. Aujourd'hui, il n'y a pas un agriculteur qui fait le malin. On se demande quel sera l'aléa de cette année. Il y a des nuits où je n'en dors pas et où j'ai envie de me lever pour aller voir à la torche si mes vignes vont bien".

La terre, le chai, l'ordinateur, la route…

L'agriculteur est aussi homme d'affaires. La production annuelle est de quelque 25 000 bouteilles, pour un objectif de 35 000. Le Château Peybrun est distribué au Québec, aux États-Unis, en France chez les cavistes ''alternatifs'', sur quelques salons et par des agents. Le marketing est également un élément essentiel du métier. Plutôt qu'un dessin au trait clair de son domaine ou des armoiries, le Lavallois devenu Girondin préfère marier l'art viticole aux arts plastiques et choisit pour les étiquettes de chaque millésime la déclinaison d'une œuvre d'artiste.

"Une culture, un produit qui se partage"

"Je pense que comme les arts, le vin est une culture, un produit qui se partage, qui rassemble. Il faut aller le chercher dans la nature. Même si c'est difficile, il y a des moments de grâce. Quand tu vois le matin le haut de tes vignes émerger d'un filet de brouillard, quand tu vois deux chevreuils qui gambadent, quand tu égrènes une grappe mure, quand tu débouches une bouteille de ton vin pour tes amis et que les arômes te sautent au nez, tu sais pourquoi tu es là".

Pratique : Salon des vins et des produits du terroir, jusqu'à dimanche 4 mai à 18h à l'Espace Mayenne à Laval. Entrée : 5 euros. Manu est présent au stand n°33. Contact : chateau-peybrun.fr